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La saga de Jade Jasmin chapitre 2

by asefylko

Gerer les consequences

L’homme, de taille moyenne mais large d’épaule et revêtu d’une chemise qui lui cintrait la silhouette, mit lentement un terme au silence de plomb qui régnait dans son bureau. Posant deux poings serrés sur le meuble en acajou qu’il avait devant lui, le quinquagénaire au visage mangé par une barbe grise finement taillée grommela d’un timbre rocailleux :

 

« Je résume… Une saloperie de drag queen s’est pointée dans son entrepôt, et a réussi à lui voler notre ordi’ sans qu’il soit capable de lui opposer la moindre résistance ? »

 

Basile Delfino était légitimement excédé. Un montage financier simple et efficace, qui n’avait que très peu de chances d’échouer, venait d’être pulvérisé de la plus invraisemblable des manières, et les justifications qu’on lui apportait ne lui suffisaient pas. Pas du tout. Or, quand quelque-chose ne satisfaisait pas Basile Delfino, ce quelque-chose avait tendance à finir six pieds sous terre, ou suspendu à un crochet de boucher, et battu jusqu’à devenir quasiment liquide.

Florian transpira en silence, le souffle coupé par l’appréhension. Dans toute cette histoire, lui n’était que le message, la pauvre recrue nouvellement arrivée qu’on avait chargée de relayer la mauvaise nouvelle au grand patron. Adnet, conscient de sa situation, s’était fait oublier sitôt l’annonce du vol transmis à un indic’ du réseau de Delfino. Peut-être serait-il retrouvé un jour, et alors, gare… Mais dans l’intervalle, la tête pensante du Cartel voudrait un coupable à sanctionner, et Florian, pas encore âgé d’un quart de siècle, redoutait de servir de bouc-émissaire.

 

« Jade Jasmin… Vous me retournez tous les bars à pédales, toutes les boites gays, toutes les salles où ces tarlouzes se déhanchent en couleurs, et vous demandez après cet asiat’ ! » Vitupéra avec véhémence le criminel ivre de revanche et courroucé d’avoir été doublé par ce qu’il jugeait être une parodie d’homme s’avilissant à porter des vêtements de femme. Bondissant hors de son siège, il contourna le bureau pour saisir son interlocuteur par le col, lui soufflant une haleine mêlant Cognac et cigare dans les narines.

 

« Et je le veux vivant ! D’abord, sa bouche de suceuse crachera où il a planqué mon fric, ensuite, je lui couperai un par un les doigts jusqu’à ce qu’il supplie de l’achever. Et seulement à ce moment-là, je le terminerai en lui brisant la nuque de mes propres mains. » Décréta le sanguinaire truand, qui ne se fatigua pas à préciser qu’il y aurait une récompense pour quiconque lui ramenait Jade Jasmin ; dans le petit monde du crime organisé, il y avait toujours une récompense monétaire pour exaucer le souhait d’un gros bonnet.

 

Le soi-disant cabinet de conseils pour placements financiers qui servait de locaux aux affaires de Delfino possédait deux accès. Le premier, très en vue sur la rue passante, servait de vitrine pour entretenir l’illusion de légitimité de l’édifice. Le second accès, ouvert sur une arrière-cour mal éclairée et difficile à repérer, permettait d’atteindre la portion du building où les bénéfices étaient réellement engrangés (dans la plus complète illégalité).
Comme chaque soir où le patron était présent, Bastien gardait l’entrée. Un homme seul pour servir de cerbère aurait pu étonner, mais plus d’un individu en faction à l’arrière d’un bâtiment éveillait davantage la suspicion sans pour autant augmenter l’efficacité de la sécurité. Bastien, malgré sa silhouette élancée, savait se servir de son arme, et n’hésitait pas à la sortir. À lui seul, il incarnait déjà un excellent dispositif anti-intrusion. Ajouté au fait que le boss ne comptait pas s’éterniser ce soir, les risques que Delfino soit mis en fâcheuse posture frôlaient le zéro absolu.

Dans la ruelle peu passante apparut une silhouette féminine. De loin, il n’était possible d’identifier que le ton général de sa tenue (plutôt clair) et l’allure globale de sa chevelure (une coupe qui menait les cheveux à hauteur de menton, en évasant d’un côté les mèches pour former un dégradé d’ondulations fermement maintenues en place). Au passage de la promeneuse sous l’un des rares éclairages, Bastien nota les traits asiatiques de l’arrivante, la couleur sable de sa robe, le maquillage élaboré qu’elle portait, les longues jambes à nu qui oscillaient pour mener des talons blancs vers l’avant, et l’étonnant soin qui avait été porté à toute cette panoplie dans un quartier sordide de la ville. Sa main glissa par réflexe sur la crosse de son arme, alors que ses yeux suivaient l’approche exagérément gracieuse de la silhouette, dont la jupe évasée de la robe évoquait presque le corps d’une méduse par sa largeur. La personne se dirigeait assez ouvertement vers l’accès arrière du bâtiment du patron, sans que cela ne choque trop celui qui en gardait l’entrée. Bastien se doutait d’à qui il allait avoir à faire. Par expérience, le porte-fligue laissa le transformiste venir à portée de voix, afin qu’il puisse le menacer sans parler trop fort. Tout le quartier, si mal famé soit-il, n’avait pas besoin d’entendre les détails de ce qui allait se dire entre les deux hommes.

 

« J’ai conscience de l’ironie de la phrase, mais… Putain, t’as des couilles pour venir te pointer ici ce soir. » Lâcha froidement celui qui se tenait prêt à ouvrir le feu sur le salopard qui avait entubé son employeur.

L’intéressé s’immobilisa
calmement sous le halo d’un éclairage mural pour prendre une pose supposément glamour, la proximité trahissant cette absence de poitrine et ces angles du visage qui dévoilaient la vérité.

« Chéri, ne me confond pas avec les traînées que tu te tapes d’habitude ; moi, les grossièretés ne m’excitent pas du tout. » Répliqua, dans une superbe démonstration de répartie, Jade Jasmin, dont la chevelure noire avait cette nuit changé de longueur pour mieux s’accommoder à sa tenue du moment.

« Je venais juste voir ton patron, mais puisque tu as besoin d’une leçon de politesse, je vais d’abord m’occuper de toi. » Annonça l’artiste scénique d’une voix feutrée faussement caressante, pendant que ses yeux regardaient de haut en bas son interlocuteur criminel. Bastien eut un rictus de défi.

 

« Le boss te veut vivant, mais si tu me donne la moindre raison de te descendre, crois-moi que je ne vais pas me priver… » Menaça-t-il d’un timbre rocailleux et sombre, l’arme bien en main, les jambes écartées en prévision du recul qu’il devrait absorber. Un silence austère de circonstance planait dans l’arrière-cour assombrie.

« Sais-tu seulement comment je me suis débrouillé pour voler Adnet sans qu’il ne m’oppose la moindre résistance ? » S’enquit jade Jasmin en avançant lentement vers le garde de l’entrée, sa démarche exagérément féminine devenant un motif supplémentaire pour haïr le transformiste chez le sous-fifre du mafieux. Celui-ci ne bougea pas d’un pouce, posant juste son index sur la gâchette de son arme, l’attention focalisée sur cette parodie de femme dont les mimiques et le maquillage débordaient d’excès.

« J’en sais rien, et je me fous. Fais encore un pas, et je te bute. » Gronda méchamment celui qui débordait d’envie d’abattre le provocateur asiatique à la voix contrefaite. Comme s’il avait compris où se trouvait la limite, le visiteur n’avança pas, regardant simplement Bastien avec son air de mijaurée.

« Je l’ai hypnotisé. » Révéla doucement le transformiste, en prononçant ces quelques mots à mi-voix, tout en papillonnant élégamment de ses très longs cils. « Je l’ai subjugué en quelques phrases, et il n’a rien pu faire, car nul ne peut résister à mon influence et à mes talents de persuasion, comme tu vas très vite t’en rendre compte. » Affirma avec un aplomb désarmant l’asiatique en talons blancs, sans que l’homme face à lui y trouve à redire spécifiquement.

Bastien se sentit brusquement à court de mots devant l’énormité des affirmations qu’on venait de lui faire. Et le pire était encore que le type habillé en femme semblait vraiment croire qu’il pouvait hypnotiser qui il voulait ! Cette idée, absurde pour l’homme de main, se heurta toutefois l’inébranlable assurance dont faisait preuve la drag queen (s’il avait déjà tenté un coup pareil avec d’autres personnes, comment pouvait-il être encore en vie ? De précédents échecs auraient dû le dissuader de s’autoproclamer maître en hypnose) ; vint ensuite l’histoire d’Adnet, avérée et récente. Dans le cerveau de Bastien naquit une croyance, fondée sur un doute : et si la tarlouze disait vrai ? C’était peu probable… Mais s’il ne bluffait pas, alors Bastien devait impérativement foncer prévenir le patron, avant d’avoir été réduit au silence.

Toutes ces pensées fusèrent dans le crâne du mafieux alors que Jade Jasmin s’approchait encore un peu plus de sa victime. Les signes d’un doute, d’une hésitation, lui avaient donné l’ouverture psychologique nécessaire pour frapper, en exploitant cette brèche mentale. Ses mains gracieuses jaillirent et glissèrent sur le visage rugueux de l’homme armé, et en une seconde, son expression charmeuse se mua en un superbe masque d’autorité.

 

« Regarde-moi droit dans les yeux ! » Exigea-t-il d’une voix grave vibrante de charisme, tandis que ses paupières s’écarquillaient comme pour avaler tout cru Bastien.

« Tu es instantanément captivé par mon regard, instantanément soumis à mon emprise hypnotique. Tu ne peux pas résister, tu ne peux que succomber à la transe. Tu ne penses plus à rien, tu n’entends que ma voix se répéter en écho dans ta tête, prendre toute la place et devenir la seule autorité de ta psyché. » Débita d’un rythme monotone et fluide celui dont les mains allaient et venaient pour créer un mouvement focalisant l’attention de sa proie sur ses yeux. Il n’y eu pas une seconde de pause, pas un moment de silence qui aurait pu permettre à l’homme d’émettre une objection. Tout se déroula comme un film, comme un enchaînement de scènes qui auraient été écrites à l’avance, et au dénouement annoncé dès le départ.

« Tu n’entends plus que ma voix et tu sens ton corps devenir lourd, lourd, lourd… Tes paupières ont envie de se fermer, tu te sens comme aimanté par mon regard, aspiré par mes yeux, tu te sens sombrer dans un étrange état de décontraction qui commence à engourdir tes pieds, tes jambes, tes mains, tes bras, ton torse… Et tu dors ! » Poursuivit sans faillir Jade Jasmin, en exploitant l’effet de stupeur de son interlocuteur pour dérouler une induction rapide qui se conclut par l’ordre énoncé. Aussitôt, le costumé dirigea fermement la tête de sa victime vers son épaule pour que son mouvement d’endormissement hypnotique se fasse en douceur. Gisant sur place, les paupières fermées, Bastien se mit à respirer lentement et profondément par le nez, imitant spontanément une attitude endormie alors qu’il se trouvait en transe, à mi-chemin entre l’éveil et l’inconscience.

 

« Totalement détendu, totalement relaxé… Tu ne penses à rien, tu ne sens plus rien, tu n’entends que ma voix qui t’inspire une totale confiance. » Ronronna l’intrus avec un sourire satisfait, tout en berçant lentement le dangereux criminel qui reposait désormais, inoffensif, contre lui. L’artiste glamour s’amusa à caresser le visage de celui qui, éveillé, aurait certainement hurlé à ce simple contact.

« À partir de maintenant, chaque fois que tu iras te coucher, tu penseras au fait qu’il faut infiniment plus de courage pour assumer d’être qui on est au fond de soi que pour feindre d’être dans la norme juste par confort mental. Tu te sentiras un peu coupable de toutes les insultes que tu auras adressé dans la journée aux personnes plus courageuses que toi, et tu t’endormiras en te promettant de faire mieux dans les jours à venir. Hoche lentement la tête si tu as retenu cette consigne. » Glissa le redresseur de torts en articulant distinctement la suggestion à l’oreille de son sujet. Bastien opina très faiblement du crâne, trop détendu pour exécuter un mouvement trop appuyé.

« Très bien. » Approuva Jade Jasmin avec un nouveau sourire matois. « Je vais maintenant te laisser compter mentalement de 1 à 10. Lorsque tu seras arrivé à 10, tu ouvriras les yeux, et tu reprendras le cours de ta nuit comme si de rien n’était. Tu ne verras aucune raison de m’empêcher d’aller et venir ; le boss gère. » Expliqua l’élégant promeneur nocturne. « Compte lentement de 1 à 10, maintenant. Chaque fois que tu énonceras un nouveau chiffre, je veux que tu te répètes dans ta tête ce que tu dois faire chaque soir, en te mettant au lit. Vas-y. » Ordonna avec calme l’hypnotiseur de cabaret, en s’écartant prudemment du garde, qui resta à sa place, immobile, les traits détendus. Avec une brève révérence pour sa victime, Jade Jasmin abandonna cette dernière, ouvrant la porte qui lui permettrait d’aller discuter de vive voix avec Basile Delfino.



Note de l'auteur : bon, vu que le site gère très très mal l'ajout d echapitre à une même histoire, je vais devoir poster séparément les chapitres de cette fiction.
N'hésitez pas à commenter, que je sache s'il y a un lectorat pour un personnage Dom Drag queen hypnotiseur (sinon, j'ai d'autres idées pour d'autres protagonistes, plus cis femmes)


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